15.02.10 - 06:20
Depuis 2003, aucun citoyen n'a plus été sanctionné par la justice pour ne pas s'être présenté au bureau
de vote. Faut-il supprimer toute sanction rendant de fait le vote facultatif? Pour en débattre, Arnaud Ruyssen reçoit Alexander De Croo, Président de l'Open VLD et Phillipe Mahoux, Sénateur
AR : Un débat suite à ce pavé dans la mare, lancé par l'Open-VLD, vendredi dernier. Et pour en débattre ce matin, le Président de l'Open-VLD, tout d'abord... Alexander De Croo, bonjour !
ADC : Bonjour !
AR : On l'entend, vous êtes avec par téléphone, vu les conditions de circulation un peu difficiles. Vous êtes coincé quelque part dans Bruxelles. Et avec nous, mais là, en studio, Philippe Mahoux, bonjour !
PM : Bonjour !
AR : Chef de groupe PS, au Sénat. Alors Alexander De Croo, tout d'abord, je le disais, c'est vous qui relancez le débat sur la fin de l'obligation de vote en Belgique. Pourquoi relancez ce débat, maintenant ?
ADC : En fait parce qu'on voit que l'obligation de vote n'est plus sanctionnée en Belgique. En fait on a vu que pour les élections fédérales de 2007 où il y a au total, 7,7 millions de Belges qui devraient aller voter, on voit qu'au total il y en a 700 mille qui n'ont pas voté, qui n'ont pas été sanctionné, il y a aussi presque 400 mille qui ont voté un vote blanc ou un vote nul. Donc on voit que presqu'au total il y a presqu'un million de Belges, qui n'ont pas exprimé leur vote. Alors la justice estime qu'on ne peut pas poursuivre tous ces gens-là... je pense que c'est tout à fait logique. Mais si on veut qu'une loi soit respectée, ou bien il faut la sanctionner ou bien il faut pouvoir sanctionner ou bien on ne le fait pas. Mais donc je pense que dans la réalité, il n'y a plus vraiment d'obligation de vote en Belgique.
AR : Mais il y a deux façons de trancher la question : c'est soit on sanctionne, soit on lève l'obligation de vote. Vous, vous dites clairement : il faut lever l'obligation du vote ?
ADC : Mais en fait l'obligation du vote, date de 1893 où en fait on l'a instaurée, pour être sûr que la grande classe sociale, en Belgique, qui était mal éduquée, serait quand même incitée à aller voter. Entretemps, la situation sociale a changé fondamentalement. Naturellement maintenant, il y a une très grande classe qui est très bien éduquée, en fait, en Belgique et c'est pour cette raison-là, que dans les années 70, la plupart des pays européens ont supprimé cette obligation, en fait, en Europe, que la Belgique, le Luxembourg et la Grèce, où il y a encore une obligation de se rendre au vote.
AR : Une réaction Philippe Mahoux, par rapport à cela. Tout d'abord ce constat... effectivement aujourd'hui, il n'y a pas de sanctions pour les personnes qui ne vont pas voter et donc un message, il est vrai, un peu brouillé, pour le citoyen. Il doit aller voter, mais il sait qu'il n'est pas sanctionné s'il n'y va pas ?
PM : D'abord c'est une question de devoir électoral. Donc je pense qu'exprimer un vote ...c'est-à-dire se déplacement dans un bureau de vote... car c'est ça l'obligation de vote. Ce n'est pas l'obligation d'émettre un vote, puisque l'abstention...
AR : On peut mettre un vote blanc, un vote nul etc...
- ...le vote blanc et nul... c'est possible... Donc ça il faut déjà rectifier. Et bien je dirais que c'est un devoir. Je suis un petit peu étonné de l'attitude du VLD, d'une manière générale et de Monsieur De Croo. La première chose que trouve à faire Monsieur De Croo, en prenant la présidence du VLD, c'est de s'attaquer au Suffrage universel. Un peu curieux... Nous tenons particulièrement au Suffrage universel et le Suffrage universel, cela veut dire tenter au maximum, que ce soit l'ensemble de la population, qui exprime son sentiment, son vote par rapport aux élections. C'est quelque chose d'important, c'est une longue conquête sociale et ce qu'évoquait Monsieur De Croo, sur le fait que maintenant il n'y a plus de problèmes, par rapport à cette expression, comme si le corps électoral était uniforme... je pense que c'est exagéré. Vous savez, la crise ...grosse responsabilité quand même... du libéralisme et du néolibéralisme, par rapport à la crise, recrée des conditions où des gens se sentent exclus. Et cette exclusion elle risquerait évidemment de se porter aussi, finalement, sur cette obligation d'élections. Il y a 90% des gens qui remplissent leur devoir d'électeur. Je pense ...continuons effectivement, à garder cette obligation qui est un devoir.
AR : Alors justement, vous, vous parlez d'un concept évidemment assez important, c'est qu'effectivement ...et beaucoup de politologues l'ont pointé)... si jamais on supprime l'obligation de vote, c'est d'abord dans les classes populaires, que certaines personnes n'iront plus voter et donc, disent certains politologues... on n'aurait plus une représentativité tout à fait pareille, des décideurs politiques. Alors Alexandre De Croo, vous répondez quoi à cette objection souvent formulée et pointée par des enquêtes de terrain.
ADC : On ne peut quand même pas dire que les autres pays européens, comme la France, les Pays-Bas, qui sont moins démocratiques que la Belgique ...ça c'est quand même un peu bizarre de dire cela... On peut aussi dire qu'en fait au Etats-Unis, Obama est quand même élu dans un pays où il n'y a pas de d'obligation de vote. En fait, le fait qu'il n'y ait pas d'obligation de vote, cela rend la politique plus active. Parce qu'en fait l'obligation de vote, cela rend la politique un peu paresseuse, parce qu'en fait les politiciens savent que tout le monde doit quand même aller voter. S'il n'y a plus cela, en fait, on rend le discours beaucoup plus actif, parce qu'on sait qu'il faut motiver les gens, pour aller voter et donc ça donne une nouvelle dynamique à la discussion politique...
AR : Mais qu'est-ce que vous voulez dire par un discours politique plus actif. Qu'est-ce que les partis ou l'Etat lui-même, pourraient faire, pour renforcer l'attrait du public, pour aller voter, si effectivement il n'y est plus obligé ?
ADC : En fait il y a un exemple aux Etats-Unis... par exemple où la classe hispanique n'est pas vraiment représentée dans la politique... était une classe assez petite, mais les discours envers les hispaniques étaient très très actifs, parce qu'en fait on savait que c'était une classe qu'il fallait vraiment motiver, pour aller voter et donc les sujets envers cette population-là, étaient très actifs dans la politique. Et donc dire que si on n'oblige plus les gens à aller voter, il y a toute une classe qui ne serait représentée dans les discours politiques, n'est pas correct du tout. On ne voit pas ça du tout, dans les pays où il n'y a pas d'obligation de vote.
AR : Philippe Mahoux, sur cet argument-là effectivement... dans d'autres pays, on voit qu'on n'a pas d'obligation et ça ne change pas nécessairement le caractère démocratique des élections ?
PM : Je pense que très franchement cela change la nature de la représentation. Plus le corps électoral est large, plus évidemment, sa représentation reflète la volonté du corps électoral. Je pense que ce n'est pas hasard, évidemment, que le VLD tente de prendre une mesure qui aura pour résultat de fractionner, de fractionner encore davantage l'électorat. Vous savez (d'ailleurs, il n'est pas seul le VLD)...
AR : Vous voulez dire quoi... que le VLD serait sans doute mieux représenté ou plus largement représenté ?
- ...on a eu un vote la semaine dernière, en fait, au Sénat et le vote c'est VLD et Vlaams Belang. Allez... je trouve qu'il y a quand même des voisinages qui sont quand même plus intéressants que ceux-là. Cela mériterait au VLD, qu'on y réfléchisse de manière particulière. On évoquait d'autres pays... Je dois signaler d'ailleurs, qu'à par les Pays-Bas, qui ont effectivement supprimé l'obligation de vote... pour les autres pays il n'y a pas eu de suppression, puisque l'obligation de vote n'a jamais existé. Très franchement, je pense qu'il y a dans cette volonté de ne pas rendre le vote obligatoire, de la part du VLD... allez la volonté de casser le thermomètre, parce que précisément la température pour le VLD, en Flandre, n'est pas très haute. En d'autres termes, leurs résultats ne sont pas très bons, alors on casse le thermomètre... et si un thermomètre ne peut pas être cassé, et bien finalement on casse ou on empêche, finalement, des remèdes et le remède c'est quand même une partie de la sanction, finalement, qu'on applique. Je suis partisan de l'application des sanctions, partisan du maintien du Suffrage universel...
AR : Donc pour vous ça c'est important ? Vous dites : si on maintient le suffrage obligatoire, il faut remettre des sanctions en place ?
PM : Quelque soit la manière, finalement, dont cette sanction est appliquée... effectivement quand il y a une obligation quelque part et qu'on ne remplit pas son devoir, son obligation, je pense qu'une sanction doit exister.
AR : Alexandre De Croo, sur l'intérêt partisan de dire : tiens... le VLD serait sans doute mieux élu, aurait plus d'élus, s'il n'y avait plus ce vote obligatoire et que ce serait pour ça que le proposez ?
ADC : Honnêtement cela n'a rien à voir ! En fait on a ce point de vue-là, dans notre programme, depuis 92 déjà... Depuis 92 le VLD a dit : on est pour la liberté de vote, au lieu de l'obligation de vote. Cela n'a rien à voir avec les résultats électoraux des dernières élections. Cela n'a vraiment rien à voir avec cela. On a toujours essayé de convaincre les autres partis de cela. On ne peut quand même dire que d'autres pays qui n'ont pas l'obligation de vote... est-ce qu'il aurait une politique sociale beaucoup moins poussée qu'en Belgique ? Non, pas du tout ! Tous les pays européens ont...
AR : Philippe Mahoux n'est pas d'accord sur ce point-là, mais on y reviendra après...
- On ne peut quand même pas dire que la Belgique soit un paradis social, supérieur à d'autres pays européens. Je pense qu'on est plus ou moins tous, au même niveau. Donc ce n'est pas parce qu'on a une obligation de vote, que la politique sociale serait très différente. Pas du tout !
AR : Brièvement la dessus, Philippe Mahoux !
PM : Vous savez, simplement... Monsieur Verhofstadt a dit qu'il y avait quelque chose, un grand libéral, quelque chose de pourri en République française... Allez... il ne faut pas qu'il y ait quelque chose de pourri en Belgique, introduire d'autre part, quelque chose de pourri...
AR : Et quoi... supprimer le vote obligatoire cela pourrirait la situation, selon vous ?
PM : Oui, parce que je pense que c'est un élément fondamental de la démocratie.
AR : Alors un petit mot, justement, sur le vote du côté des extrêmes. Là il y a un peu discussion entre politologues, mais certaines études, menées, côté flamand notamment, par l'Université de Gand, montrent, Philippe Mahoux, que si on supprimait cette obligation de vote, en Flandre en tout cas, le premier parti à en pâtir... sera le Vlaams Belang, qui va plus puiser dans les couches de l'électorat populaire. Est-ce que ce n'est pas un argument ça ?
PM : Ce n'est jamais un argument, dans la mesure où je pense que le vote doit pouvoir s'exprimer. Combattre le Belang, ce n'est certainement pas, à mon avis, présenter des mesures comme celle-là... est qui de nouveau une mesure qui vise à casser le thermomètre. Je pense que pour combattre le Belang, on doit combattre ses idées. Vous savez ...dans toutes nos écoles... on tente de faire, parfois avec difficulté, de la formation civique, sensibiliser les jeunes à l'importance des prises de positions politiques, par rapport à toute une série de problèmes : la sécurité sociale, les soins de santé, les problèmes de choix de vie. On sensibilise les jeunes et puis tout d'un coup, en fait, après les avoir sensibilisés, on trouverait qu'ils ne doivent pas remplir leur devoir électoral. Tout cela n'est pas vraiment très logique.
AR : L'Open-VLD qui veut donc la suppression de cette obligation, c'est aussi avec ce regard du côté des extrêmes, en se disant que ça diminuerait peut-être le vote, pour les partis plus extrémistes, Alexander De Croo ?
ADC : Non, pas du tout ! Et je pense que c'est très difficile de prévoir cela...
AR : D'ailleurs le Belang lui-même, est pour la fin de cette obligation. On l'a déjà dit et effectivement cela tenterait à prouver qu'ils ne sont pas trop inquiets ?
ADC : Je pense que tout ce discours, en disant que c'est un choix stratégique, cela n'a rien à voir. C'est une expression de liberté, d'aller voter. Ne pas aller voter est un signal aussi et je pense aussi que cela responsabilise les gens. En fait, le fait de dire : c'est à vous de savoir si vous voulez aller voter... mais faites-le si vous êtes motivés et on vous motivera pour le faire... c'est responsabiliser l'électorat. Le fait de dire : vous êtes obligés de le faire, en fait cela enlève la responsabilité des gens... et comme je l'ai dit : cela enlève toute une motivation du côté de la classe politique, pour essayer de bien rendre la politique attractive, pour que les gens soient motivés à aller voter.
AR : Philippe Mahoux, là-dessus !
PM : Mais je vais dire que plutôt que de se mobiliser, même dans une campagne électorale, pour dire aux gens : allez voter... ça ce sont des dépenses... simplement sur le fait d'aller voter. Je pense que c'est plus important effectivement, de développer des arguments pour leur proposer, à travers des programmes, finalement, des choix pour qui voter. Alors très franchement, je pense que par rapport à la population, par rapport à l'ensemble des citoyens, il vaut mieux finalement, qu'il fasse cette démarche et qu'ils la fassent de manière consciente, en ayant des choix qui sont clairement exposés. Les campagnes électorales tournent déjà tellement souvent à des problèmes parfois de personnes... alors qu'en réalité il serait plus important de discuter de programmes, parce que ce sont ces programmes, qui déterminent les politiques qui sont menées et donc qui concernent de manière directe, les citoyens. Vous savez, on voit ce qu'ils vivent pour le moment. On sait que les alternatives sur le plan politique existent, les conséquences de la crise financière, ce ne sont pas ceux qui les ont provoqué, qui les vivent, c'est la population... dans les pertes d'emplois...
AR : Mais rien ne les empêche d'aller voter, même si le vote n'est plus obligatoire, tous ces gens peuvent se mobiliser et aller voter ?
PM : Oui, effectivement ! Et le vote étant obligatoire, finalement on peut leur expliquer finalement ce qu'est l'alternative entre des politiques de droite, des politiques de gauche, des politiques de droite, des politiques néolibérales, qui aboutissent aux catastrophes qu'on a connues, non seulement sur le plan bancaire, mais aussi par rapport au vécu quotidien de l'ensemble de la population.
AR : On va rester sur la question quand même de l'obligation du vote. Alexander De Croo... un dernier mot : est-ce que c'est débat que vous comptez vraiment mettre à l'agenda ? Il faut, selon vous, qu'il y ait en 2010, ce débat sur l'obligation de vote, puisque Stefaan De Clerck le disait lui-même : on a une année sans élections... c'est peut-être le moment, effectivement, d'en rediscuter ?
ADC : Oui, je pense que ce serait le moment de le faire, parce qu'on voit qu'en fait cette réalité d'obligation de se rendre au vote, n'existe plus vraiment. Mais je pense que c'est un moment pour faire un débat de fond. Il faut vraiment convaincre le fait que ce n'est plus de ce temps-ci. En fait, tous les pays européens on vu cette différence de situation sociale et ont enlevé ce droit de vote. Faisons-le aussi ! En fait, cela fait 40 ans qu'on aurait dû le faire en Belgique. Donc faisons-le maintenant aussi...
AR : Alexander De Croo, merci. Philippe Mahoux merci également...